La réalité virtuelle, plus pratique que ludique ?

Le constat est le suivant : depuis la mise sur le marché du premier casque Oculus, la réalité virtuelle peine à être autre chose qu’une technologie gadget pour le domaine du jeu vidéo.

En revanche la révolution s’est opérée ailleurs. Notamment dans des domaines qui n’attendaient rien du virtuel : la santé, le tourisme, l’immobilier, la formation professionnelle, la communication, etc.

Quelles raisons à cela ? L’attente du public a-t-elle joué un rôle dans le destin de la VR ? Nous répondons à toutes ces questions.

Le jeu vidéo VR : un problème d’offre et de contenu

Médium de l’immersion par excellence, qui pèse 5 milliards d’euros en France en 2019, le jeu vidéo aurait dû être bousculé par l’arrivée de la réalité virtuelle. Les studios auraient dû s’y investir pleinement, et le public aurait dû s’y précipiter.

Or, ce n’est pas le cas. Le jeu vidéo VR se réduit à une offre encore trop maigre pour peser sérieusement sur le marché. Pourquoi ?

D’abord, parce qu’il y a un cercle vicieux. Les joueurs préfèrent attendre que les catalogues soient plus fournis pour acheter des casques, et les studios préfèrent attendre que la demande soit plus conséquente pour alimenter les catalogues.

C’est le serpent qui se mord la queue.

Si les catalogues se sont enrichis depuis, les joueurs y trouveront encore beaucoup de jeux anecdotiques ou de portages. Trop peu de hits qui permettraient de fédérer massivement les gens – à l’heure où j’écris ces lignes, le studio Valve vient d’annoncer son prochain Half Life exclusivement en VR. Preuve que c’est possible.

Oculus Store Réalité virtuelle

Au manque de contenu important s’ajoute une exploitation trop timide des caractéristiques de la réalité virtuelle

Dans les jeux, l’immersion est souvent pensée comme un supplément sensoriel, mais rarement comme un élément de gameplay. Pourtant certains projets s’y essaient – au hasard : Chronos, Super Hot ou Lone Echo qui ont su exploiter le casque de belle manière. Mais les propositions sérieuses sont encore trop rares. Le mariage entre l’art et l’hardware n’est pas abouti.

À cela s’ajoute une peur du motion sickness. Argument à prendre en compte dans la mesure où il freine les longues sessions de jeu. Difficile de s’oublier dans une expérience immersive lorsqu’au bout de cinq minutes on a déjà envie de rendre son repas de midi.

Pourtant la réalité virtuelle est une réussite ailleurs

De façon inattendue, ce sont des domaines éloignés du jeu vidéo qui trouvent le plus d’intérêt dans la réalité virtuelle.

L’immobilier retient son pouvoir immersif. Les visites virtuelles permettent aux promoteurs de motiver les acheteurs, d’étendre la visibilité des offres, ou encore de défendre solidement des projets.

En médecine, les professionnels s’en servent pour la rééducation motrice, pour traiter les douleurs du membre fantôme, pour soigner les phobies, apaiser le stress lié aux interventions cliniques, ou même comme méthode d’hypnose thérapeutique.

Dans les domaines culturels et touristiques, on aime sa force d’évasion. Téléporter le spectateur ailleurs, dans des scènes d’époque, des univers oniriques, pour lui faire découvrir d’autres cultures, d’autres temps.

Elle est aussi utilisée comme outil de formation. Les serious games immersifs permettent de placer les personnes dans des mises en situation professionnelles.

Bref, la liste est longue. Car chaque domaine pioche ce qui lui plaît dans la réalité virtuelle, qui apparaît alors comme une sorte de couteau-suisse capable de répondre à des exigences variées. Grâce à elle, on peut anticiper le réel, duper les sens, recomposer un environnement existant, créer des univers fantaisistes, faire vivre des sensations fortes, etc.

On comprend une chose alors. Ce qui avait été imaginé initialement comme un outil ludique, présente en fait beaucoup d’avantages pratiques. Ce qui plait aux professionnels avec la réalité virtuelle, c’est qu’elle répond à leurs problématiques. Elle fournit des solutions à des besoins concrets, et c’est déjà beaucoup.

À quoi tient cette différence ?

On serait tenté de croire alors à un problème de nature. Comme si la réalité virtuelle était naturellement plus adaptée à un usage professionnel qu’au jeu vidéo.

Ce serait oublier les réalités commerciales qui ont façonné le destin de la technologie. Car la réalité virtuelle représente bien deux marchés distincts, avec des attentes différentes vis-à-vis du produit.

Du côté des professionnels, on a d’abord vu la technologie comme une curiosité. À ses débuts, on l’utilisait parce qu’elle était nouvelle, sans toujours en faire bon usage. On l’envisageait comme un moyen d’attirer le public vers sa marque. Puis petit à petit, un glissement s’est produit. Certains secteurs y ont vu d’autres intérêts. De « curiosité technologique » elle est passée à « solution pratique ».

La différence est essentielle entre aller vers une technologie parce qu’on ne la connaît pas, et y aller parce qu’on la connaît. Car on sait dans quelles limites elle peut répondre à nos besoins.

Pour les particuliers, ce glissement ne s’est pas opéré. La réalité virtuelle est restée un objet de divertissement. Souvent pour des expériences publiques – escape game, salles d’arcade, session éphémère en lieu public. Ou bien chez soi comme accessoire gaming. Elle n’est pas devenue une technologie utile.

Elle se cantonne donc au jeu vidéo, et perd au passage une partie du public : les non-joueurs. A l’intérieur de son public de joueurs, elle en perd encore une partie, pour ne garder que ceux prêts à sauter le pas. Ce qui nous mène finalement à un marché de niche, alors que la technologie a les atouts pour devenir une techno importante.

Une fois la hype passée, la réalité virtuelle peut enfin révéler son potentiel

La sortie du premier Oculus s’est accompagnée d’une hype en partie responsable de la déception qui a suivi. Une fois le feu allumé, difficile de l’éteindre.

Cette hype reposait sur de vieux fantasmes nourris de science-fiction. De Existenz, à Ready Player One, en passant par Matrix, beaucoup d’œuvres ont imaginé un virtuel comme une réalité alternative de tous les possibles. Nous aimerions que ce soit vrai. Nous rêvons d’une machine à rêve. Pas de couper des fruits au rythme d’une musique techno. L’idéal serait une réalité virtuelle qui brouille les frontières du réel.

Or nous avons une technologie qui sert le réel.

Par ailleurs, le fameux cycle de la hype, théorisé par Roy Amara nous explique qu’après la déception, vient la reconnaissance. Que nous sommes aujourd’hui dans une phase de transition par laquelle la technologie se débarrasse des trop lourds espoirs que nous placions en elle.

Les derniers changements opérés sur les casques sont la preuve que la réalité virtuelle n’est pas un échec, puisque les utilisateurs font entendre leurs exigences et que les constructeurs y répondent. Les marques comprennent que la simplification est le chemin de la démocratisation. La seule voie possible pour une technologie amenée à devenir un objet du quotidien. Nous allons vers des objets autonomes, moins encombrants, avec moins de connectiques, et des composants allégés.

Pour ce qui est du jeu vidéo. On constate que le marché s’améliore doucement, les ventes grimpent car les conditions sont réunies : des casques moins chers et des catalogues qui s’enrichissent. Mais de là à dire que la réalité virtuelle est l’avenir du jeu vidéo, non. Car tous les jeux n’appellent pas l’immersion, et il est probable que la VR reste toujours un à-côté, mais un à-côté plus intéressant qu’à ses débuts.